Balade photo – Père Lachaise
Père-Lachaise en hiver — Janvier 2018
S’il y a bien une chose que j’aime faire en hiver, c’est me balader dans de beaux cimetières. Traitez-moi de morbide, mais ces endroits m’apportent une forme d’apaisement et parfois même ils m’inspirent. De plus, j’ai la chance d’habiter près d’un véritable joyau parisien : le cimetière du Père Lachaise. Autant dire que j’y traîne souvent mes petites bottines… Comme lors de ce jour grisâtre de janvier 2018, où j’avais pensé (pour une fois) à prendre mon appareil photo. Le ciel était d’un blanc laiteux, le froid piquait les joues, les allées du Père-Lachaise étaient quasiment désertes. Toutes les conditions étaient réunies pour une parfaite balade en solitaire. L’appareil photo en bandoulière, je suis là pour capturer les tombes, les sculptures, les corbeaux, le silence, tout ce qui fait que ce lieu me bouleverse autant.
balade en solitaire
Il y a quelque chose d’enivrant à marcher seule dans ce cimetière quand tout Paris semble retenir son souffle. On peut y aller aussi souvent que l’on veut, la balade sera toujours différente. Il y a tant à découvrir, selon les allées, les saisons… Ce n’est jamais réellement “figé”, comme on pourrait s’y attendre pour un cimetière. Loin du vacarme urbain, on entend juste le vent qui pleure le long des statues, les feuilles mortes que le pas écrase. La lumière tamisée transforme les ornements de pierre en visages paisibles et endormis. Le Père-Lachaise, ouvre ses bras un peu austères en hiver, et c’est dans cette austérité que je trouve une sorte de beauté aiguë, puissante.
J’aime me perdre dans ses allées sinueuses, je m’arrête devant les chapelles dissimulées derrière les cyprès, devant les tombeaux aux gargouilles, devant les bas-reliefs, les anges blessés, les inscriptions presque illisibles sous la mousse. Les corbeaux — ou sont-ce des corneilles ? — croassent, volètent d’un mausolée à un autre, comme des sentinelles noires. Leur plumage se détache sur le ciel bas et les statues blanchies. Ils apportent une présence sombre qui rend le silence encore plus palpable.
Histoire, mémoire, sculptures
Le Père-Lachaise, c’est plus de deux siècles d’histoire. Ouvert en 1804, conçu comme un “cimetière-jardin” par Alexandre-Théodore Brongniart, il était à l’origine un lieu que peu de Parisiens venaient visiter. Peu à peu, avec les extensions, avec les grandes figures qu’on y a fait venir, il est devenu une nécropole prestigieuse, un lieu de mémoire, de recueillement, mais aussi de curiosité artistique.
Colette, Chopin, Molière, Hugo, Montant, Signoret, Piaf, Proust, Balzac, Wilde, Delacroix, La Fontaine, Apollinaire et tant d’autres… J’avais lu (dans je ne sais plus quel livre) qu’il y avait plus de célébrités mortes au Père Lachaise que de vivantes à New York. J’aime bien cette idée. En hiver, ses sculptures ressortent. Le marbre froid, les pierres sombres, les gisants fissurés, les statues enveloppées de givre ou de mousse.
Je me rappelle que, lors de ma toute première visite du cimetière, je m’étais rendue (comme presque tout le monde) sur la tombe de Jim Morrison.
Lorsque j’avais enfin trouvé le spot après m’être perdue un bon nombre de fois, il y avait une jeune femme qui était justement devant la tombe. Elle était en train de la filmer (avec une de ces grosses cameras à cassette VHS qu’on avait encore à l’époque…).
Je n’ai pas voulu la déranger, elle avait l’air d’être très concentrée par son tournage. Immobile, silencieuse. J’ai donc décidé d’aller me balader un peu plus loin et de revenir quand elle serait partie. J’ai dû marcher une bonne demi-heure quand je me suis dit qu’il était temps de faire demi tour. En arrivant, je découvre qu’elle est toujours là, toujours aussi immobile et silencieuse. Toujours en train de filmer la tombe de Morrison…
Encore aujourd’hui je me demande pourquoi. Bref, je l’ai laissée filmer la tombe tranquillement et n’ai pu visiter Morrison qu’à ma visite suivante. Depuis, j’ai toujours en tête cette vision étrange, presque fantomatique, de cette jeune femme obsédée par son tournage.
moments suspendus
Il y a tellement à voir. C’est une balade infinie, qui donne envie de ralentir le pas, de prendre le temps de respirer et de s’attarder sur des détails oubliés depuis des générations. Les sculptures sont parfois décorées d’une simple rose, laissé là par un autre passant. Fissurées, grises, mélancoliques… Elles continuent de raconter leurs histoires à tout ceux qui les croisent.
Dehors la ville et sa vie battent son plein, mais à l’intérieur de ses murs, le temps semble à jamais suspendu…
Parfois, je croise d’autres promeneurs, perdus comme moi dans leurs pensées. On se salue d’un signe de tête, sans un mot, comme pour respecter la solennité du lieu. Il y a des amoureux main dans la main, des photographes, des rêveurs, des gens venus “voir” quelqu’un. Chacun semble chercher quelque chose — un souvenir, une émotion, une paix intérieure.
Le Père-Lachaise n’est pas un lieu triste, c’est une parenthèse hors du temps où tout le monde finit par marcher un peu plus doucement, parler un peu moins fort, et regarder un peu plus loin que d’habitude. On y traverse les allées comme des échos modernes parmi les morts illustres.
Les tombes solitaires, les sculptures, les corbeaux — Tout cela forme un dialogue avec le passé. Ces moments de grisaille font ressortir les détails, les textures, les ombres. Cela nous rappelle la fragilité de la vie, le temps qui use mais aussi qui sublime. Fascinantes par tant d’aspects, les statues empêchent de tomber dans l’oubli.
Avec ces photos, j’espère que tu puisses sentir un peu de ce froid sur ta peau, un peu de ce poids du temps, mais aussi de la paix que j’y ai trouvée. Que tu voies le contraste entre la pierre dure et la mousse douce, entre le silence des allées et le cri d’un corbeau solitaire. Que tu comprennes que même dans un lieu où la mort est partout, il y a une énergie, un récit, une sorte de respect immuable et éternel.