Balade photo – Quelmer
En avril 2019, par une journée bien bretonne, une amie m’a entrainé du côté de Saint-Malo, jusqu’à l’anse de Quelmer. Là-bas, elle m’a fait découvrir un de ses petits lieux magiques dont elle a le secret, un cimetière de bateaux. Un lieu fascinant où reposent une quinzaine d’épaves échouées dans la vase, témoins silencieux de l’histoire maritime locale.
Air iodé glacé, ciel plombé, bottes bien serrées, manteau qui claque au vent — voilà dans quel état d’esprit j’ai posé mes pas sur la grève. Mon appareil photo m’accompagnait comme toujours, près à capturer ce que la Bretagne murmure à marée basse…
Quand la brume bretonne monte, l’endroit prend des allures presque mystiques, un décor parfait pour les photographes ou les rêveurs en quête d’émotions grisantes. Certains artistes locaux en ont profité pour « habiller » les coques de graffs et fresques. Des œuvres éphémères peintes au gré des marées dans ce bout de plage perdue entre rugosité et poésie.
Le cimetière de bateaux de Quelmer, c’est un peu comme un secret de marins, posé le long de l’estuaire de la Rance. À marée basse, les carcasses oubliées ressortent de l’eau et de la vase, presque comme si elles prenaient le temps de respirer après des années flottantes. Il y en a une quinzaine, des vestiges en bois, en acier. Des formes fissurées que la mer a rongées, que le sel plie et que le temps efface doucement.
Le site est aussi riche d’un point de vue patrimonial : des épaves datées du XXᵉ siècle témoignent de l’architecture navale d’autrefois. L’association d’archéologie maritime Adramar a contribué à identifier et préserver ces vestiges précieux.
Pourquoi j’ai eu un gros coup de coeur pour ce lieu
Il y a un charme étrange dans ces carcasses à ciel ouvert. Entre algues, bois usé et rouille, j’y trouve une beauté imparfaite. On ressent le poids du temps, les histoires de marins, de cabanes de passeurs, de chantiers navals… Une poésie douce-amère, typiquement bretonne.
Ce qui me fascine ici, c’est l’imperfection. Les morceaux de coques qui croulent sous les algues. Les flancs métalliques roussis qui se fissurent. Certains bateaux ne sont que des squelettes, des coques éventrées. Et pourtant, c’est dans ces fissures et cette rouille que je trouve la beauté : la mémoire silencieuse de voyages, de jours de mer. On imagine les équipages, les tempêtes, les départs, les retours, les quais mouillés.
Quand je photographie, je cherche la lumière qui fait scintiller une goutte sur le métal, qui fait danser le reflet de l’eau, ou qui met en relief une bordure brisée. Le contraste entre le ciel bas et la matière des coques, le vent mordant et le silence de la grève, donne des images à la fois grinçantes et apaisantes.
la Bretagne, ça vous gagne !
Ah, la Bretagne… Quand le vent souffle sur la côte, que le ciel est chargé de nuages… on se sent plus vivant. La Bretagne pour moi, c’est ce mélange de brutalité, froide et venteuse, et de douceur. L’odeur de la mer, le murmure de l’estuaire et la lumière filtrée entre les nuages. Quelmer, c’est un concentré de tout ça.
Les bateaux abandonnés, les cris des mouettes, le bruit du bois qui geint. Parfois, un rayon de soleil se glisse faisant miroiter la mer, et les épaves deviennent de somptueuses sculptures. Elles gagnent en poésie dès qu’on les regarde avec un peu d’attention. Le sable humide, les coquillages abandonnés, les lignes douces de la plage recouverte de mousse marine, tout ça mêlé au bruit des vagues, à l’odeur salée…
J’aime cette juxtaposition : des vieilles coques mortes et le rivage encore plein de souffle.
Pas loin de là, sur une plage dont j’ai oublié le nom, on a improvisé quelques photos de moi — parka bien boutonnée, bottes dans le sable glacé… Je voulais capturer le contraste entre la rudesse bretonne et cette douce mélancolie qui plane toujours sur la côte. Ce mélange entre portrait (à peine posés) et de clichés des épaves crée un dialogue visuel : l’histoire d’un moment en bord de Rance, entre sel, bruine et vapeur d’iode.
Quand je regarde ces photos, je sens encore le froid me chatouiller les os, le vent me fouetter les cheveux, mais aussi la paix, la beauté de ce lieu un peu fragile, un peu oublié, teintée de mélancolie mais pas vraiment triste. Parce que même dans ce qui se délite, il y a de la force. Les bateaux, même immobiles, continuent de raconter leurs histoires.
C’était le genre de promenades que j’adore. Saisir un instant entre deux marées, entre deux humeurs de ciel, entre le vent et le craquement du bois. Ces photos sont comme une petite capsule bretonne — imparfaite, humide, lumineuse même sous la pluie.